MASSACRE DE REQUINS EN AUSTRALIE

L’animal gisait sur les tapis de mousse. Il bougeait encore, martelant le sol de sa queue. Scott lui a assené un coup de pied dans le ventre, qui rendait un son sourd et cartilagineux. Il s’est assis dessus pour l’immobiliser. Il tenait un poignard effilé, il a attrapé la nageoire dorsale et il l’a tranchée net, au ras du dos. Le squale a sursauté, ses mâchoires ont mordu le vide. Scott s’est tourné vers Daryl, qui le contemplait : « Tiens-le, bordel !... » A califourchon sur la bête, il s’est penché d’un côté puis de l’autre, il a sectionné les nageoires pectorales d’un geste appliqué, précis. Cisaillant dans les chairs de la queue, il l’a amputée de son lobe inférieur. Il a crié : « C’est bon !... » Il a empoigné le rostre allongé du requin, il l’a tiré derrière lui, traçant comme à la brosse une bande écarlate sur le métal du pont. Puis il a rejeté l’animal désarticulé à la mer. Atrocement mutilé. Vivant.

A quatre heures de l’après-midi, une fois les lignes ramassées et le pont nettoyé, je me suis assis sur un seau, dos à la cabine. J’avais les mains en sang, déchiquetées par les hameçons, la morsure du nylon. Ce jour-là, nous avions remonté trois espadons, un thon à nageoires jaunes. Et six ou sept requins – des bleus, avec leur long museau conique et leurs yeux ronds ; un requin crocodile aux dents protubérantes ; un mako imposant, fuselé comme une torpille ; un requin-renard à la queue surdimensionnée, incurvée en lame de faux ; un requin soyeux de trois mètres dont la peau gris-bleuté luisait au soleil. Le même rituel chaque fois. Une boucherie. J’en avais gros sur l’estomac. Je ne savais pas, alors, que les squales démembrés, coulant au fond de l’océan, pouvaient mettre des jours, des semaines à mourir – Bernard Séret relate le cas atroce, au large du Brésil, d’un animal dont l’agonie aura duré trois mois.

Extrait de « Massacre de requins en Australie », récit-reportage, revue Long Cours (n°1, Automne 2012)