BAJA CALIFORNIA

L’âme de la Baja, on la trouve dans les ranchos retirés au fond du désert, là où le filet d’une source enfouie autorise la vie, la survie plutôt. La poésie des toponymes est d’une beauté tragique : le « Vit-Loin », les « Larmes », l’« Impossible »… Parfois elle entretient l’espoir, comme ce panonceau à l’entrée du canyon de San Dionisio, trois heures au sud de La Paz : « Rancho el Refugio ». Attablé sous l’auvent de palmes, dans l’âcre fumée d’un poêle à bois, un petit homme sec, barbe grisonnante, sourit : « Catarino, señor, à votre service… » Sa dame invite à partager le déjeuner que l’on prend ici au retour des champs, vers onze heures : viande, haricots, légumes, tortillas de maïs, relevés d’épices à réveiller un mort. A la fin du repas, Catarino inspecte un grand bassin où nagent des tortues. « L’eau descend de la montagne… » Elle irrigue le potager, un verger odorant où poussent mangues et bananes, des grenadilles douces à la chair succulente. Des cultures vivrières : comme partout sur la péninsule, ce rancho produit tout juste de quoi nourrir une famille. Catarino soupèse du regard le porc noir attaché à son arbre : « Il sera gras pour la semaine sainte… » Les vaches efflanquées ne donnent plus de lait, tant la pâture est pauvre. « Il n’y aura pas de fromage… » Des vautours survolent les crêtes de la Sierra La Laguna, en quête de charognes. L’homme soupire : « Bientôt quatre ans qu’il ne pleut pas… » Il a déjà connu cela tout gosse, c’était il y a un demi-siècle. « Les gens ont dû tuer les bêtes, puis ils sont partis… » Son chien le suit partout, l’éternel bâtard mexicain. L’acier de ses yeux bleus vous toise sans frémir. Aux cicatrices qui lui barrent les flancs, on comprend qu’il en a vu d’autres. « C’est un bon chivero… », il conduit les chèvres dans les hauteurs. La nuit il écarte les pumas, les coyotes en maraude. Ce chien n’a pas de nom, simplement : « El Perro ».

Extrait de « Baja California, le Far-West mexicain », récit, Géo (Juillet 2012)